La première des « Conversations Jalada » Richard Ali

ramutu


Translation: The Jalada Conversations No 1. Richard Ali


interviewé par Edwige Renée Dro


19/5/2015

Bienvenu (e) aux « Conversations Jalada »; ce sont des échanges sur la littérature et sur l’écriture où nous parlerons avec les ecrivains les plus engageants et les plus respectés du continent. Pour commencer, Renée Edwige DRO échange avec Richard Ali A MUTU sur la langue, l’écriture en Lingala et la fermeture du fossé entre le monde Anglophone et Francophone à-travers la littérature.

Né en République Démocratique du Congo, Richard ALI A MUTU KAHAMBO, plus connu sous « Richard Ali », vit à Kinshasa où il fit des études de Droit. Lauréat des certains prix littéraires dont le Prix Mark Twain (novembre 2009). Il publie en 2011 le recueil des nouvelles « Le cauchemardesque de Tabu » aux éditions Mabiki, réédité par les éditions Mediaspaul en 2015; puis un roman en lingala intitulé « EBAMBA, Kinshasa-Makambo » dont l’extrait lui vaut une sélection parmi les 39 meilleurs jeunes auteurs africains 2014 du Projet Africa39. Il est l’initiateur de l’Association des Jeunes Ecrivains du Congo (AJECO), chroniqueur littéraire à la télé, consultant copywriter et collaborateur avec différents projets culturels et littéraires nationaux comme internationaux.

INTERVIEUSE

Richard, tout d’abord, c’est un grand plaisir pour moi de faire cette interview avec toi. La première fois que j’ai entendu parler de toi, c’est quand j’ai vu ton nom sur la liste des écrivains du projet Africa39. Qu’est-ce-que tu as ressenti quand tu as vu ton nom sur cette liste?

RICHARD ALI A MUTU:

Oh, merci beaucoup, chère Edwige. Laisse-moi t’avouer que ce plaisir est réellement partagé. Alors, franchement, ce serait faire fausse modestie si je disais que je n’ai pas tressailli ou ressenti quelque chose de pareil le soir (oui, ce fut un soir, j’ai encore ma mémoire fraîche quant à cette soirée-là…), le soir où j’ai reçu et lu le courriel me félicitant et m’informant de ma sélection parmi les 39 du projet Africa39. Oui, j’étais bien heureux et fier de moi. Mais, je pense qu’en ce moment –là même je n’avais pas vraiment encore réalisé l’envergure de cette sélection, c’est bien après, lorsque je lirais les commentaires des organisateurs (-voir le processus de sélection, etc.) et en parlerais avec certains amis et aînés, que je me rendrais finalement compte que je venais d’inscrire mon nom dans une autre belle page de l’histoire, mon histoire, l’histoire de mon pays, l’histoire de la littérature africaine ; et là, ce fut alors ma grande joie.

INTERVIEUSE

Alors, je dis souvent que si je n’étais pas connectée au milieu littéraire anglophone, j’aurais peut-être ratée l’appel à soumission du projet Africa39. Comment as-tu entendu parler du projet?

RICHARD ALI A MUTU:

Je pense que ton hypothèse est vérifiable, car, les deux espaces, francophone et anglophone, paraissent toujours comme évoluant dans des univers différents, en vases clos ; et pourtant, tous, nous écrivons, nous racontons des histoires, nous faisons le même métier. C’est souvent bien rare de voir quelque chose se dérouler dans l’espace anglophone et faire un clin d’œil à l’espace francophone et ce, malheureusement, vice versa.

Contrairement à toi qui avais déjà des attaches avec l’espace anglophone, moi c’est plutôt le fait qu’un bon nombre d’amis et connaissances dans mon pays et à l’extérieur étaient déjà au courant que je commençais à militer pour l’écriture en langues nationales, et, spécialement dans mon cas, en lingala. J’intervenais souvent dans des conférences où je parlais des enjeux d’une littérature en langues locales et annonçais souvent l’avènement de mon roman en lingala. C’est ce qui a fait que lorsque l’info est parvenue à ma maison d’édition (Mabiki), très vite, l’épouse de mon éditeur a tout fait pour que je sois mis au courant afin de soumettre ma candidature, car, elle et son époux étaient fermement convaincus que mon profil cadrait parfaitement pour cet appel. Nous étions déjà à trois jours de la clôture. Pour ma part, c’est le même soir que mon éditeur m’a tenu informé que je me suis investi à informer quelques autres amis que j’estimais aussi remplir les critères de sélection.

INTERVIEUSE

Tu écris en Lingala. Pendant l’atelier de PEN International à Port Harcourt au Nigéria en Octobre 2014, tu as mentionné le fait que dans le monde francophone, nous avons dépassé le débat sur l’écriture dans nos langues africaines. Pourrais-tu élaborer la-dessus ? Et penses-tu vraiment que c’est le cas?

RICHARD ALI A MUTU:

T’as une sacrée mémoire, chère Edwige !(mdr). Oui oui, je me rappelle bien du jour en question. Au fait, c’est juste parce que pendant ces échanges, j’avais constaté comme si c’était à peine-même que vous (-je fais ici allusion aux anglophones qui étaient dans la salle-) commenciez à aborder la problématique de la littérature dans les langues africaines. L’espace francophone, et c’est un constat personnel mais aussi vérifiable, avait déjà commencé à faire des grandes concessions aux langues minoritaires, je veux dire, aux langues locales, africaines et créoles. Cela est rendu évident avec « La diversité linguistique » reconnue et promue par la Francophonie. A cela j’ajouterai « le Prix KADIMA » qu’organise l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) pour primer les œuvres littéraires écrites dans les langues africaines et créoles. C’est ce qui m’avait un peu poussé à dire que nous avons déjà compris qu’il n’y a même plus débat à ce stade-là. Je pense que nous sommes maintenant au stade de la conscience de tout écrivain africain : c’est à lui de prendre sa plume et d’écrire dans la langue de son terroir.

INTERVIEUSE

Je suis heureuse d’apprendre que ton roman Kinshassa Makambo a connu le succès qu’il a connu parce qu’il a été écrit en Lingala. Y a-t-il des politiques d’alphabétisation en Lingala en République Démocratique du Congo et c’est cela qui a aidé avec le succès de ton livre?

RICHARD ALI A MUTU:

Merci beaucoup. Mais, si tu permets, juste un petit correctif pour faire juste (mdr)… Au fait le titre dudit roman, c’est : « EBAMBA, Kinshasa Makambo ». Bon, c’est pas grave, ça arrive à plusieurs personnes et je ne sais te tenir rigueur. Je dois franchement avouer que le succès de ce roman en lingala reste au-delà de mes attentes. Cela a renforcé ma conviction et ma détermination à continuer de produire encore d’autres œuvres en langues congolaises.

Oui, cette politique existe en RDC, mais ne se limite pas qu’avec le lingala, elle s’étend sur toutes les quatre langues nationales que nous avons au pays : le tshiluba, le kikongo, le swahili et le lingala. Et, si j’ai bonne souvenance, je crois qu’il s’agit d’un projet pilote au niveau de la Francophonie qu’on appelle « Projet ELAN »(ELAN= Ecoles et Langues) ; et que la RDC est parmi les premiers Etats bénéficiaires de ce projet.

Mais, et c’est là que ça pourrait peut-être vous étonner : Non, ce projet-là ou cette politique-là n’a pas du tout intervenu pour contribuer ou favoriser de quelque manière que ce soit au succès de mon roman. Je l’espère pour l’avenir peut-être, car je reste convaincu que ce projet a tant d’avenir et est très déterminant pour nos productions en langues africaines. L’enfant qui apprend en lingala sera à l’aise et enthousiasmé d’avoir un livre en lingala à sa portée.

INTERVIEUSE:

Es-tu le seul écrivain qui écrit en Lingala?

RICHARD ALI A MUTU:

Oh, pas du tout, pas du tout, ma chère, détrompe-toi, je ne suis pas le seul à écrire en lingala !(mdr). Imagine un peu la grandeur de ce pays-continent (la RDC) et du nombre de ses habitants et locuteurs du lingala qui aujourd’hui dépassent largement les frontières, et que je sois le seul jusqu’en ce jour à tenter cette aventure… non, je ne suis pas le seul. Y’a eu des ainés qui ont entrepris cette démarche bien avant nous et d’autres aussi qui continuent d’écrire en lingala comme nous, mais qui ne sont peut-être pas bien connus que nous ou n’ont pas encore eu cette chance-là (rires). Mais il faut reconnaître que nous sommes trop peu nombreux à ce jour qui nous investissons dans cette aventure. Le tout premier, selon l’histoire de la littérature congolaise, fut un prêtre missionnaire belge, puis y’a eu quelques publications de congolais, mais qui sont passées inaperçues ou presque. En ce qui me concerne, c’est l’Administrateur des éditions Mabiki, Dr Bienvenue Sene, qui m’a beaucoup motivé dans cette entreprise. C’est un ainé pour qui j’ai aujourd’hui beaucoup d’estime dans ce domaine.

INTERVIEUSE

A Writivism 2015 en Ouganda, nous avons eu une causerie-débat sur fermer le fossé entre l’Afrique francophone et l’Afrique anglophone à-travers la littérature. D’abord, penses-tu que c’est important et puis as-tu des solutions pour comment nous pouvons faire cela?

RICHARD ALI A MUTU:

Parlant de « Fossé », j’ose bien espérer que vous faites allusion à l’écart qui existe en terme de non-pénétration de deux espaces dans le secteur littéraire… (rires), c’est juste pour circonscrire ma réponse. Oui, en tout cas, je pense que vous avez fait une très bonne chose d’aborder ce problème avec les amis à Ouganda. Je trouve que c’est bien malheureux et regrettable cette situation-là, et le comble est que ça dure depuis bien longtemps maintenant. Notre génération est arrivée, l’a trouvé, et c’est bien une force et contribution significative pour nous d’y mettre fin, car c’est simplement inadmissible. Notre continent a une richesse incommensurable en terme de talents littéraires et ce, dans leurs diverses langues d’expression : anglophone, lusophone, francophone, swahilophone, etc.

Les écrivains africains ont tendance à s’enfermer dans l’espace de leur langue de travail, alors qu’une interpénétration serait plus enrichissante pour eux : en terme de thématiques, de styles, d’approches, etc.

Mais cette question-là ne sera mieux résolue que si l’on investit beaucoup dans la traduction. Oui, la traduction est le premier remède en mon sens. Puis, multiplier des rencontres littéraires où les deux espaces peuvent se rencontrer, se voir, se sentir, se toucher, se parler… Et tu verras que jusque là j’ai un peu évité de reprendre ton expression de deux Afriques : une Afrique anglophone et une autre francophone. C’est juste pour que cela ne prenne pas corps dans nos esprits, car l’Afrique, ma sœur, est une et doit le demeurer. Je pense pour ma part que le Festival de Port Harcourt auquel nous avions été conviés peut servir d’exemple. Il en faut d’autres et dans tous les coins d’Afrique.

INTERVIEUSE

Tu es le président de l’Association des Jeunes Ecrivains Congolais. Comment se porte la littérature congolaise?

RICHARD ALI A MUTU:

La Littérature congolaise se porte bien à l’heure actuelle. Une nouvelle génération se confirme peu à peu. Des nouveaux projets littéraires voient le jour de plus en plus. Les auteurs évoluant dans la diaspora comme ceux à l’intérieur du pays ne lâchent pas prise, ils écrivent et continuent d’écrire en dépit de tout. Le flambeau littéraire congolais s’est encore rallumé, sinon ravivé. Oui, nous reconnaissons que durant plus d’une décennie, notre littérature était entrée dans une certaine léthargie. Mais, bon, c’est déjà du passé tout ça; à présent la machine tourne et c’est vraiment à une vitesse de croisière depuis quelques années : cette littérature revient avec force ! Notre Association se bat aussi à y contribuer tant soit peu, à rallumer et garder allumés les lampions de cette littérature ! Crois-moi, demain, tu m’en donneras des nouvelles…

INTERVIEUSE

Merci.


Edwige-Renée DRO est une écrivaine Ivoirienne. En Décembre 2013, après plus d’une décennie passée en Angleterre, elle décide de retourner en Côte d’Ivoire parce qu’elle ne pouvait pas être à l’aise à l’étranger et prétendre qu’elle contribuait au développement de son pays.

Ses nouvelles ont été publiées sur des plateformes comme African Writers et dans des magazines littéraires comme Prufrock, prima, l’anthologie de la St Valentin de Ankara Press. Edwige est aussi la lauréate du projet Africa39, un projet qui a sélectionné les 39 meilleurs écrivains Africains en-dessous de l’âge de 40 du continent Africain, sud du Sahara.

Edwige est membre du jury du concours 2015 de PEN International Nouvelles Voix et a été sur la liste des candidats sélectionnés de la bourse d’écriture Miles Morland en 2014. Edwige est aussi traductrice et elle a traduit Les Cités Fantastiques (The Fantastic Cities), un livre-objet des poèmes et peintures de l’écrivaine Wêrêwêrê Liking.